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Annales Médecine Physique 1968;11:241-6

La céphalée sus orbitaire

Sa fréquente origine cervicale. Son traitement par manipulations

R Maigne


 

 

Résumé. L'auteur insiste sur la fréquence de l'origine cervicale des céphalées banales (même lorsque d'autres causes peuvent paraître les déclencher). Celles ci ont le plus souvent une topographie sus-orbitaire unilatérale et inconstamment occipitale du même côté. La fixité de la topographie de la douleur : toujours dit même côté et ait même endroit, tout an long de l'évolution des crises de céphalées banales doit faire suspecter la responsabilité partielle on totale du rachis cervical. L'examen du rachis cervical doit être très attentif : les petits signes de souffrance de celui ci doivent exister du même côté que la céphalée. Ils sont sous-occipitaux dans les céphalées sus-orbitaires.

La manipulation et les thérapeutiques manuelles associées constituent l'un des traitements le plus régulièrement efficace et le plus rapide de ce type de céphalée généralement peu sensible aux autres traitements.


 

 

 

Les céphalées banales, qui ne semblent relever d'aucune cause organique et qu'on a bien souvent tendance à considérer comme d'origine purement psychogénique, présentent en pratique quotidienne un problème thérapeutique difficile. Si l'on se sent très à l'aise, toutes précautions diagnostiques étant prises, pour rassurer le patient sur la bénignité de son affection, il faut bien reconnaître que les thérapeutiques, même psychothérapiques, se montrent le plus souvent décevantes.

 

Or, il est fréquent que certaines des céphalées banales durant depuis longtemps et rebelles aux autres thérapeutiques, soient remarquablement soulagées et souvent définitivement par certaines manipulations électives du rachis cervical. Cela se reproduit avec une telle fréquence qu'il est bien difficile de considérer la manipulation comme simplement une thérapeutique psychique d'autant que des manoeuvres apparemment semblables mais mal faites peuvent chez les mêmes patients déclencher des réactions violentes. Cela amène à considérer le rôle que peuvent jouer les dérangements minimes de la colonne cervicale sur lesquels agit la manipulation, comme responsables totalement ou partiellement des céphalées banales, si fréquentes et si rebelles. A l'inverse, ces céphalées sont les incidents les plus courants des manipulations cervicales mal faites et elles se rencontrent avec une notable fréquence au cours des traumatismes cervicaux mineurs.

 

Il va sans dire qu'on ne pourra envisager et discuter l'origine cervicale d'une céphalée qu'après avoir éliminer toutes les causes neurologiques, oculaires, sinusiennes, vasculaires, dentaires, allergiques, etc. qui peuvent donner ce symptôme. On ne peut pas non plus négliger les facteurs psychogéniques. Ils sont importants mais ils paraissent souvent ne jouer qu'un rôle déclenchant, sans représenter la cause profonde.

 

S'il est des céphalées cervicales qui sont liées à des modifications importantes des structures cervicales et qui ont fait l'objet de très nombreux travaux dans ces dernières années, notamment celles qui font partie du syndrome de l'artère vertébrale, il ne faut pas s'attendre dans la plupart des cas que nous envisageons ici à des lésions importantes du rachis avec des images radiologiques particulières. Sans la preuve thérapeutique qu'apporte la manipulation et la contre-preuve de l'aggravation si elle est faite dans le mauvais sens, on aurait tendance à négliger les petits signes qui doivent faire soupçonner le rôle du rachis cervical.

 

Ces céphalées débutent fréquemment après un traumatisme cervical, mais celui ci peut être ancien ou être léger. Elles sont favorisées par certaines positions. Elles peuvent être uniquement nocturnes et matinales, déclenchées par la position de la tête sur un oreiller mal adapté. Mais elles peuvent aussi ne survenir qu'à l'occasion d'un facteur surajouté : froid sur la nuque, épisode digestif, règles et bien entendu contrariétés. Ce facteur déclenchant, souvent le même pour un même malade, conduit a accuser la vésicule, la fonction ovarienne, etc. et le traitement à visée digestive ou hormonale petit parfois aider le patient. Telle par exemple l'observation suivante :

 

Mme S. D.... 42 ans. Depuis l’âge de 32 ans, céphalées violentes sus-orbitaires droites, avec nausées, durant

trois à quatre jours, survenant dans la semaine précédant les règles, et plus rarement dans d'autres circonstances (froid sur la nuque, ou forte contrariété). Après de nombreux examens et essais thérapeutiques, on avait trouvé que le meilleur traitement consistait en l’injection de 10 mg. de progestérone le 21° jour du cycle. Cela atténuait fortement les maux de tête, les rendant très supportable. Mais dès l'arrêt du traitement, ils reparaissaient, inchangés.

Notre attention ayant été attirée par la fixité de la topographie douloureuse (toujours occipitale et sus‑orbitaire droite), nous avons recherché des signes cervicaux qu'il fut aisé de mettre en évidence : diminution de la mobilité en rotation et latéroflexion droite du rachis cervical supérieur, avec un point douloureux très sensible à droite au ras de l'occiput ; (la pression sur ce point produisait la nausée et un début de mal de tête). Aucun signe radiologique.

Trois séances de manipulation firent disparaître les signes locaux et revue six ans plus tard, cette patiente n'a plus présenté de maux de tète. Elle se souvint alors d'un traumatisme (chute de bicyclette) survenu quelques mois avant le début des maux de tête, et qui ne lui avait donné que quelques jours de douleurs cervicales vite oubliées.

 

Ce qui nous paraît être l'élément le plus évocateur de l'origine cervicale d'une céphalée est la fixité de sa topographie. Dans 90 % des cas, il s'agit d'une céphalée sus-orbitaire unilatérale et occipitale toujours située du même côté par un même patient, à toutes les crises. Elle peut être seulement sus-orbitaire ou seulement occipitale. Lorsqu'elle est seulement sus-orbitaire, le diagnostic de « sinusite congestive » est souvent posé. Elle est assez rarement bilatérale, donnant alors une douleur en barre frontale et une douleur occipitale globale. Signalons que plus rarement la douleur n'est pas sus-orbitaire, mais rétro-orbitaire on irradiant à la racine du nez.

 

L'intensité de la crise est variable, souvent modérée, cédant à l'aspirine, mais parfois violente avec des nausées. La fréquence est extrêmement variable, soit qu'elle survienne à périodes plus ou moins espacées ou qu'elle soit quotidienne. Il peut y avoir un horaire assez fixe : le matin au réveil par exemple, et s'améliorant dans la journée, pour reparaître le soir à la fatigue. Dans quelques cas, on se trouvera en présence d'une céphalée qui présentera les caractères classiques de la névralgie du nerf d’Arnold, douleur occipitale presque toujours bilatérale, irradiant au scalp, vers le front, sans jamais l'atteindre.

 

Une telle céphalée, surtout si elle est ancienne et si les examens sont par ailleurs normaux, doit attirer l'attention sur la partie haute du rachis cervical et faire rechercher les petits signes qui appuieront le diagnostic. Plus rarement, il s'agira d'une céphalée occipitale basse, irradiant vers l'oreille et vers la temporo-maxillaire et le maxillaire. Il s'agit alors plus d'une algie faciale que d'une céphalée. Elle conduira le patient à con­sulter le stomatologiste. Celui ci ne trouvera aucune cause locale, aucun trouble de l'articulé dentaire (syndrome de Costen) et c'est alors qu'il faudra examiner avec soin le rachis cervical.

 

 

I) Examen du rachis cervical

 

 Il sera pratiqué, le patient allongé sur le dos, la tête hors de la table selon la technique déjà exposée.

 

L'examen portera :

1° sur la mobilité de cette région

2° sur les tissus de la région sous-occipitale

3° des tests de pression ou de traction et de posture.

 

1) La mobilité

 

On testera soigneusement la mobilité de la région occipito-vertébrale, selon tous les modes de flexion, extension, rotations et latéroflexions, d'abord d'une manière analytique puis globalement en combinant en une seule manoeuvre : latéroflexion + rotation homologue + extension par exemple, faite de chaque côté, puis latéroflexion + rotation opposée + extension, faite également à droite et à gauche.

 

On mettra en évidence une moins bonne mobilité dans un sens ou une douleur provoquée.

 

2) La palpation

 

La palpation des tissus superficiels montrera souvent une sensibilité plus grande des tissus cutanés du côté de la céphalée que de l'autre, à la manoeuvre du pincé-roulé.

 

La palpation des tissus profonds particulièrement celle des muscles sous-occipitaux, mettra en évidence leur tension, certains faisceaux paraissant « cordés » et cela toujours du même côté que de la céphalée. Et surtout on pourra retrouver un point douloureux exquis très précis, toujours situé à deux travers de doigt de la ligne médiane. Il siège dans la fosse sous occipitale, au ras de l'occiput s'il s'agit d'une céphalée sus-orbitaire, il siégera à l'étage au dessous s'il s'agit d'une céphalée à topographie de névralgie d'Arnold et encore plus bas s'il s'agit d'une algie occipito-temporo­maxillaire. Il est particulièrement net en périodes de crise, mais existe d'une manière permanente chez le céphalalgique habituel. Dans certains cas, la pression maintenue sur ce point provoquera immédiatement l’irradiation douloureuse habituelle. Pratiquée au cours d'une crise, son infiltration novocaïnique peut soulager immédiatement le patient.

 

3) Test de posture

 

Le maintien du rachis cervical supérieur dans la position où la mobi­lité est diminuée pendant une trentaine de secondes, déclenche assez fréquemment la céphalée, alors que la manoeuvre inverse peut la soulager ; on peut en même temps que l'on pratique ce test de posture, faire pression sur le point sensible de la gouttière paravertébrale, ce qui l'augmente. La traction manuelle sur la tête peut soulager le patient en crise alors que la pression axiale sur le crâne avec les deux mains peut augmenter la céphalée ou même parfois la provoquer.

 

 

II) Examen radiologique

   

Il ne faut pas s'attendre à trouver des images radiologiques caracté­ristiques ou importantes. Si ces dernières existent, elles ne prouvent rien, tant leur banalité est grande chez des sujets qui ne souffrent pas et leur persistance évidente après soulagement du malade. Mais l'importance ou la nature des lésions radiologiques du rachis cervical peut parfaitement conduire à ne pas pratiquer la manipulation, car les manoeuvres que l'on doit employer doivent être faites avec une très grande douceur. Ce sont des manoeuvres légères, exécutées du bout des doigts. L'essentiel est la précision de la manoeuvre, l'exacte appréciation, que seule donne une très longue pratique, de l’amplitude du mouvement à faire et la bonne direction.

 

 

III) Pathogénie

 

 On peut se demander comment la souffrance du rachis cervical supé­rieur ou des muscles périvertébraux de cette région peut provoquer une douleur dans le territoire du trijumeau. Or il suffit expérimentalement en utilisant la technique de Kellgren d'irriter par exemple les muscles sous occipitaux pour provoquer une douleur sus-orbitaire du même côté. Il faut savoir aussi que l'extrémité inférieure du noyau sensitif du trijumeau se confond avec le début de la corne postérieure, en sorte que les deux premiers dermatomes Cl et C2 sont communs avec le trijumeau. Des filets Cl et C2 participent non seulement au contingent ophtalmique, mais encore à la sensibilité du scalp de la région frontale au vertex (Lazorthes).

 

 

IV) Traitement

 

   

1) Traitement manuel

 

Le traitement est essentiellement manuel

 

1° Lorsqu'il y a une infiltration cutanée « cellulitique », douloureuse au pincer rouler, et surtout si cette sensibilité est unilatérale du côté de la céphalée, les manoeuvres seront un pétrissage superficiel avec la pulpe des doigts, soit en pincer-rouler, soit selon les techniques de Watterwald.

 

2° Lorsque la tension musculaire est importante (et unilatérale), ce sont les manoeuvres de mobilisation douces, progressives, lentes, faites en marquant bien les temps d'arrêt avec un certain étirement, qui seront utilisées.

 

3° Enfin, la manipulation proprement dite, faite d'une manière strictement unilatérale (rotation dans un seul sens, combinée avec la latéro­flexion homologue ou hétérologue, et avec l'extension ou la flexion). Ces coordonnées seront déterminées par l'examen prémanipulatif, tels que nous l'avons décrit par ailleurs, et selon notre règle de la non-douleur et du mouvement contraire. La manoeuvre délicate, pour être utile, efficace et non traumatisante, doit être très douce, très mesurée, faite an millimètre et bien sûr très élective quant à l'étage mobilisé. Elle doit être faite du bout des doigts, elle est absolument indolore. Cela nécessite évidemment surtout à cet étage délicat une longue pratique. C'est sur les résultats de la première manoeuvre et la manière dont l'opérateur en aura ressenti le déroulement normal ou non que sera faite éventuellement une deuxième manoeuvre, faite avec une technique complémentaire mais de même coordonnée principale. Il faut utiliser très peu de technique manipulative au niveau (lu rachis cervical supérieur, surtout au début : une on deux, pas plus.

 

Une réaction existe une fois sur trois dans les 24 heures qui suivent, à type de poussée de céphalées, une crise analogue aux crises habituelles, mais parfois plus vive. Cette réaction s'éteint en quelques heures, dure rarement une journée. Elle est normale et de bon pronostic. Elle n'existe pas aux séances suivantes. Une réaction qui demeurerait montrerait l'instabilité du secteur et inciterait à une très grande prudence ultérieurement, sans que cela est affaire d'habitude et d'appréciation de la part de l'opérateur. Deux à cinq séances seront en moyenne utiles, pour traiter une céphalée cervicale, exceptionnellement plus, souvent moins. L'espacement doit être de trois à cinq jours en moyenne.

   

2) Autres traitements

 

Si la manipulation nous paraît être l'essentiel de la thérapeutique, elle n'est évidemment pas la seule. Dans les cas où l'irritation arthrosique est importante, la radiothérapie apporte de très intéressants résultats, ou même la physiothérapie à condition que les électrodes soient parfaitement ajustées aux points algique. Enfin, l'infiltration novocaïnique des tissus sous-occipitaux à la recherche du point le plus algique rend d'incontestables services.

 

Les résultats sont excellents dans l'ensemble ; on peut chiffrer à 70 % les bons résultats obtenus dans ce type de céphalées. Il est parfois nécessaire de faire, lorsque les rachis présentent des troubles statiques importants ou lorsque les patients ont des positions de travail défavorables, une séance d'entretien une à trois fois par an. Il va sans dire que la correction d'éventuels troubles statiques ou posturaux est un des éléments important du traitement, et de la prévention.


 

 

Dr R. MAIGNE

7, rue Catulle Mendès

PARIS 17e



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