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Prévention des lombalgies dans la pratique du ski de fond

E. Bouvat* J.G. Drevet** X. Phelip**
*Médecin des équipes de France d’athlétisme. Attaché au CHU de Grenoble. Service de Rééducation et Réadaptation fonctionnelles (Pr X. Phelip), CHU GRENOBLE, B. P. 217 X 38043 GRENOBLE Cédex

Le ski de fond pratiqué dans sa technique traditionnelle peut être responsable de contraintes néfastes pour le rachis lombo-sacré, L'analyse des principaux mouvements a mis en évidence, pour chacun d'entre eux, des conséquences rachidiennes lombaires au niveau discal, articulaire postérieure, ligamentaire et/ou musculaire.

Du point de vue de la prévention, il convient d'opposer deux types de "patients" :

• Le sujet sans antécédent lombalgique qui devra associer une bonne condition physique préalable et un échauffement spécifique.

• L'ancien lombalgique qui transformera sa technique, s'il veut éviter les récidives de sa pathologie.

 
Aspects généraux
 

Le ski de fond a pris, en France, une place importante dans le sport, qu'il soit de loisir ou de compétition ; en effet, depuis les Jeux Olympiques de Grenoble en 1968, ce sport est pratiqué de plus en plus en compétition grâce aux courses de longue distance, ouvertes à tous, débutants comme champions confirmés.

Cet extraordinaire développement a entraîné un grand nombre de pratiquants vers un entraînement plus ou moins régulier. Une traumatologie du ski de fond a donc vu le jour qui, sans être responsable de lésions vraiment spécifiques (2), montre une certaine différence avec le ski alpin : 50 % des lésions tou­chent le membre inférieur (contre 70 % en ski alpin), 42 % le membre supérieur (le double du pourcentage rencontré en ski alpin) et 6,60 % le crâne, la face, le rachis, le thorax ou le bassin.

Les agressions aiguës du rachis (27 traumatismes du rachis sur 753 observations soit 3,6 %) qu'elles soient cervicales, dorsales ou lombo-sacrées au cours du ski de fond, sont responsables de lésions évidentes, de survenue brutale et dont le traitement est bien codifié.

En revanche, on ne retrouve pas trace, dans la littérature, de l'agressivité du ski de fond sur le rachis (4). L'un d'entre nous, moniteur de ski de fond, a relevé dans sa pratique médicale, d'authentiques lombalgies chez les sportifs pratiquant ce sport et utilisant la méthode dite traditionnelle, la technique du pas du patineur étant exclue. (On notera que ces deux techniques sont toujours utilisées en compétitions internationales.)

Si le traitement de la lombalgie installée ne présente aucune particularité, la prévention, par contre, possède des aspects tout à fait spécifiques.

Après un bref rappel sur la technique traditionnelle et sur ses conséquences biomécaniques, nous démembrerons les lombalgies de ces sportifs. Ceci permettra la définition de certaines conditions à visées préventives, pour la pratique de ce sport par des sujets sains ou anciens lombalgiques. On gardera toujours à l'esprit la différence fondamentale entre "marche à ski" sans phase de glissée du ski sur la neige et "ski de fond", sport à part entière nécessitant une technique bien précise assortie d'une bonne condition physique. C'est à ce dernier que nous faisons référence ici.

 
Principaux mouvements et conséquences bio-mécaniques
 

Le pas alternatif. C'est un travail alterné et symétrique des membres supérieurs et inférieurs qui sont en opposition, avec transfert du poids du corps d'un ski sur l'autre (10). On notera, lors de la poussée d'un membre inférieur, la mise en jeu du triceps sural, des ischio-jambiers, du grand fessier et de la masse sacro-lombaire homolatérale, alors qu'au niveau du membre supérieur contro latéral c'est principalement le deltoïde (fibres postérieures), le triceps et le grand dorsal qui entrent en jeu.

Le pas alternatif

On peut donc déjà noter :

  • La rotation opposée des ceintures, très ample, sollicitant la charnière dorso lombaire en rotation
  • La mise en action des sacro lombaires
  • La possibilité de fautes techniques (présentes chez la plupart des skieurs, à des degrés divers, mais quel que soit leur niveau) :
     
    - poussée trop postérieure du membre inférieur portant, entraînant une hyperlordose lombaire, du fait de la limitation à 10° de l'extension de hanche
    - verticalité excessive du tronc, elle aussi responsable d'une hyperlordose lombaire chez les skieurs cherchant à augmenter l'amplitude de leur foulée en allongeant vers l'arrière le membre inférieur actif.
    - inclinaison excessive du buste vers l'avant responsable d'une sollicitation importante des masses sacro lombaires pour prévenir la chute du tronc en avant.

En résumé, le pas de base (ou alternatif) entraîne :

  • une grande sollicitation de la charnière dorso­lombaire en rotation chez tous les skieurs
  • un travail important des masses musculaires sacro lombaires qui peut devenir une surcharge si la technique est mauvaise
  • une hyperlordose lombaire brusque et répétée à chaque mouvement surtout chez le débutant
La poussée simultanée. C'est le geste dans lequel la propulsion est assurée par les bras qui travaillent ensemble et renforcée par une flexion du buste alors que les genoux restent en extension complète ou en très légère flexion (10).

La poussée simultanée

Les conséquences d'un tel mouvement sont évidentes :

• le mouvement brusque de flexion antérieure nécessite lors du redressement du buste une charge de travail considérable pour les masses sacro lombaires.

• les membres inférieurs restant tendus, les contraintes sur les disques intervertébraux sont importantes.

Le pas de un. C'est, en fait, la combinaison des deux mouvements précédents puisqu'il associe l'impulsion d'une jambe et la poussée simultanée sur les deux bras. Il va donc allier les inconvénients des deux techniques précédentes (10) :

• l'impulsion sur une jambe entraîne l'hyperlordose de fin de mouvement si la technique n'est pas parfaitement maîtrisée.

• dans tous les cas, la bascule du tronc en avant nécessite, pour le retour à la position verticale, le travail des masses sacro lombaires et des fessiers, entraînant d'importantes pressions intradiscales au niveau lombaire.Le pas de un

 
Démembrement des lombalgies du ski de fond
 

Tout skieur de fond a connu dans sa carrière sportive la lombalgie subaigüe, survenant en cours d'entraînement (souvent au début) et l'obligeant à ralentir la cadence ou même à s'arrêter pour se redresser. D'autres ont pu présenter des symptomatologies plus tenaces, persistant après l'effort et mettant plusieurs jours à s'estomper. Mais rares, cependant, sont ceux qui ont été victimes du lumbago aigu. Une symptomatologie lombaire est fréquente principalement chez le débutant, le sujet peu entraîné ou le compétiteur lors des premières sorties de ski de la saison. La littérature ne mentionne pas, à notre connaissance, cette pathologie rachidienne du skieur de fond, alors que sont nombreuses les publications traitant des lésions chroniques du rachis dans d'autres sports (1, 3, 5, 6, 11, 12).

Ces lombalgies peuvent avoir plusieurs origines : il suffit de se référer aux conséquences biomécaniques qu'aura sur le segment mobile rachidien la technique employée (10) et la répétition du geste :

  • Origine tendino musculaire par surcharge de travail des masses sacro lombaires : il en résulte, soit la lombalgie aiguë de début d'effort par hypersollicitation musculaire (4), soit la lombalgie chronique par maladie d'insertion tendineuse (8).
  • Origine discale par augmentation des contraintes sur le disque, lors du relèvement de la position penchée en avant, membres inférieurs tendus (pas de un et poussée simultanée).
  • Origine articulaire postérieure par mouvements d'hyperlordose brusques et répétés mettant en compression ces articulations ; on peut également soupçonner, lors de ce même mouvement, un contact des épineuses engendrant l'inflammation des ligaments interépineux lombaires.
  • Syndrome de la charnière dorso lombaire de R. MAIGNE (9) : celle ci est hypersollicitée en rotation, lors du pas alternatif, au même titre que celle du skieur alpin en slalom (6). Ce syndrome de la charnière dorso lombaire pourra entraîner des lombalgies rebelles par atteinte de la branche postérieure du nerf rachidien (9).
 
Prévention des lombalgies du ski de fond
 

CHEZ LE SUJET INDEMNE DE TOUTE AFFECTION RACHIDIENNE, NÉCESSITÉ:

D'une condition physique suffisante avant de chausser les skis avec, en particulier, une bonne musculature abdominale et lombaire.

D'une bonne maîtrise de la technique (facilitée d'ailleurs, par une bonne forme physique) permettant d'éviter les fautes à l'origine de surmenages du segment mobile rachidien.

D'un échauffement avant toute séance de ski de fond, surtout au niveau de la charnière dorso lombaire, en rotation : la méthode classiquement recommandée est de s'asseoir à califourchon sur un tronc d'arbre pour fixer le bassin et de faire des rotations du tronc, d'amplitude progressivement croissante et sans à coup, une dizaine de fois de chaque côté.

CHEZ LE SUJET AYANT PRESENTÉ DES LOMBALGIES INVALIDANTES OU EtÉCIDIVANTES MAIS AYANT ÉVOLUÉ FAVORABLEMENT, ON PEUT PROPOSER:

Les précautions précédentes, qui prennent d'autant plus d'importance quand les antécédents lombaires sont présents. Dans ces cas, les cours de ski avec moniteur paraissent indispensables.

Un aménagement de la technique, à des degrés divers, surtout si le ski de fond a été à l'origine des lombalgies précédentes :

  • Pour le pas alternatif, (en haut à gauche), limiter l'amplitude des bras, surtout en arrière afin de moins solliciter la charnière dorso lombaire par une moins grande rotation opposée des ceintures. De même, une diminution de l'amplitude de la foulée aura les mêmes effets bénéfiques. Au maximum, le skieur pratiquera de la marche à ski, sans phase de glissée.
  • La poussée simultanée est le mouvement tout à fait contre indiqué aux lombalgiques car il augmente les pressions intra discales de façon trop importante ; on adaptera ce geste en :
- évitant l'inclinaison du tronc en avant (A).

- limitant la poussée postérieure des membres supérieurs sur les bâtons dès que la main arrive au niveau de la hanche (B).

- associant simultanément à la poussée sur les bâtons, une importante flexion des genoux (C): le redressement se fera donc grâce à l'extension des genoux par l'intermédiaire du quadriceps et non pas grâce aux masses sacro lombaires. On évitera ainsi la phase, si néfaste, de redressement du tronc sur des membres inférieurs tendus.

  • Le pas de un est techniquement difficile à réaliser car il nécessite une bonne coordination et une bonne interprétation des mouvements précédents. Il allie les inconvénients bio mécaniques de la poussée simultanée et du pas alternatif. On le déconseille donc à un ancien lombalgique, à moins que celui ci ne possède à fond toutes ces techniques.
DANS TOUS LES CAS, on recommandera également un apprentissage soigneux du verrouillage lombaire et de la statique vertébrale correcte afin d'éviter les traumatismes répétés en hyperlordose ; dans ce but, un travail important des abdominaux (des obliques, notamment) permettra une bonne maîtrise du bassin.
 
Conclusion
 

La pratique du ski de fond peut engendrer des douleurs lombaires, en particulier chez les skieurs ayant des antécédents de lombalgies. Plutôt que de déconseiller ce sport, il est plus logique de transformer légèrement la technique de base pour l'adapter à des sujets anciennement lombalgiques mais désireux de pratiquer cette activité, Pour ces derniers, il est possible de réaliser des adaptations simples; pour peu qu'ils acceptent de respecter certaines conditions, il leur sera possible de pratiquer le ski de fond, sans danger.



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