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Lombalgies et dorsalgies d’origine musculaire

Intérêt de l'écho-tomographie

 

J.G. Drevet* G. Kern* X. Phelip*


 

Les douleurs rachidiennes, de nature mécanique, traduisent des phénomènes pathologiques variés, intéressant de façon isolée ou associée les structures discales, articulaires postérieures, mais également péri-articulaires : les tendons, les ligaments et les muscles. La responsabilité des chaînes musculaires postérieures apparaît sous estimée et fréquemment méconnue. L'échotomographie musculaire, qui a fait la preuve de son intérêt dans la pathologie musculaire et tendineuse périphérique, est susceptible d'objectiver des lésions des chaînes musculaires à l'origine de tableaux douloureux persistants.

 

 

1) Caractéristiques cliniques

 

Plusieurs éléments cliniques permettent de suspecter la responsabilité des chaînes musculaires, face à un tableau douloureux dorsal ou lombaire

 

a) L'existence d'une zone « gâchette » musculaire para-vertébrale

Conduite de façon minutieuse, la palpation des chaînes musculaires dorsales et lombaires postérieures décèle une zone souvent ponctuelle, très circonscrite, dont la pression maintenue réveille ou exacerbe les douleurs habituellement ressenties. Les douleurs spontanées peuvent être diffuses et bilatérales ou latéralisées du côté porteur de la zone gâchette. Soulignons que l'existence de ce secteur musculaire, exacerbant les douleurs, est en règle méconnue du patient, ce qui souligne l'intérêt de sa recherche systématique.

 

b) L'anesthésie de ce territoire musculaire contrôle tout ou partie des douleurs

Une faible quantité de lidocaine, de l'ordre de 1 ml, permet de neutraliser le territoire musculaire douloureux identifié et de constater une diminution importante des douleurs habituellement ressenties.

 

c) A l'opposé, l'injection d'une substance placebo au niveau de ce territoire musculaire isolé n'est suivie d'aucun effet favorable. Ce test, qui peut être effectué à distance ou précéder l'injection par le produit anesthésique, permet une meilleure sélection des indications de l'échotomographie.

 

d) Les dorso-lombalgies apparaissent isolées

La recherche d'une souffrance vertébrale, de nature discale ou articulaire postérieure, se révèle négative. De même une autre étiologie mécanique, notamment ligamentaire, aura été éliminée, ainsi que les affections inflammatoires, les pathologies viscérales à expression rachidienne...


 

 

2) L'étude échotomographique

 

a) La conduite pratique de l'examen nécessite une étude comparative des chaînes musculaires, par la réalisation de coupes axiales et transversales (fig. 1). Des épreuves statiques et dynamiques de contractions volontaires des muscles para-vertébraux permettent, d'une part, de sensibiliser l'examen, d'autre part, de dépister d'éventuelles contractures musculaires organisées.

 

b) L'appareillage utilisé est habituellement un écho­tomographe en temps réel, muni d'une sonde d'une fréquence de 6 à 7.5 mégahertz. Le dépistage et l'analyse des anomalies échotomographiques peuvent présenter des difficultés et nécessitent d'être effectués par un radiologue expérimenté.

Plusieurs anomalies échotomographiques peuvent alors être objectivées réalisant des territoires hyper­échogènes ou hypo échogènes.


 

3) Résultats

 

a) les territoires hyper échogènes

 

Ces plages hyper échogènes sont distantes de 50 à 110 mm de l'axe des épineuses, en regard du rachis dorsal ou du rachis lombaire. Les contours sont irréguliers, parfois uniques (fig.2), ou multiples (fig.3) ; les dimensions sont en règle modestes, ne dépassant pas 30 mm de long et 10 mm de largeur, dans notre expérience (fig. 4 et 5).

 

Ces anomalies concernent les groupes musculai­res superficiels : les plages hyper échogènes sont, en effet, distantes de 20 à 35 mm du revêtement cutané. Il est possible de constater des foyers hyper échogènes au sein des muscles fessiers, répondant à des critères identiques de sélection (Fig. 6, 7 et 8).L'image échotomographique ainsi individuali­sée peut être assimilée au territoire musculaire qu'isole l'examen clinique ; en effet, un contrôle peut être réalisé en effectuant une infiltration anes­thésique lors de la réalisation de l'échotomographie, permettant de guider la position de l'aiguille.

 

 

 

Les patients porteurs de territoires hyper échogènes présentent parfois des antécédents traumatiques francs, susceptibles d'avoir concerné les chaînes musculaires douloureuses. Cela n'est cependant pas constant, bien que constituant une orientation diagnostique. En effet, ces territoires hyper échogènes peuvent, certes, traduire un processus iatrogène dû à l'injection de produits sclérosants.

 

En dehors de cette hypothèse, la plage hyper échogène évoque alors un granulome cicatriciel, s'exprimant par un processus fibreux ; cette étiologie prend toute sa valeur dans nos observations pour lesquelles aucune injection de produits sclérosants n'a été effectuée. Les images observées sont par ailleurs très proches de celles constatées dans la pathologie périphérique post-traumatique.

 

 

 

 

b) Les territoires hypoéchogènes

 

 

Des critères cliniques identiques à ceux utilisés pour la localisation des plages musculaires hyperéchogènes peuvent permettre l'individualisation de territoires hypoéchogènes : zone "gâchette" musculaire para-vertébrale dont l'anesthésie atténue les douleurs habituellement ressenties, une substance placebo se révélant inefficace. Il n'existe, ainsi, pas d'élément clinique susceptible d'orienter plus vers la découverte de plages hypo-échogènes ou hyper­échogènes, en dehors de la possibilité, dans les antécédents, d'un traumatisme direct des chaînes musculaires para-vertébrales, évocateur d'un granulome cicatriciel.

 

Ces anomalies échographiques concernent également les muscles superficiels, assez proches de l'axe rachidien. La distance par rapport au revêtement cutané varie de 15 à 35 mm et, par rapport à l'axe des épineuses, de 20 à 110 mm. Les plages hypoéchogènes sont habituellement de forme ovoïde (fig.9), parfois sphérique (fig.10) ; les contours sont irréguliers, les limites imprécises (fig.11). Leurs dimensions sont relativement peu importantes : 15 à 35 mm d'épaisseur et 20 à 40 mm de longueur. Aucune plage anéchogène n'a été constatée.

 

 

 

Les douleurs sont d'installation progressive, les patients ne pouvant reconnaître un facteur déclenchant précis ; le début des manifestations cliniques est ainsi rarement brutal, évocateur d'une pathologie d'effort, comme le suggère l'observation suivante :

Un jeune skieur de compétition souffre de lombalgies latéralisées à gauche depuis 3 mois, d'intensité croissante, apparues lors d'un entraînement sportif. L'examen clinique, ainsi que les radiographies du rachis dorso-lombaire, ne permettent pas de retenir une étiologie particulière; cependant, l'analyse des chaînes musculaires, en regard du rachis lombaire bas, décèle 1 secteur, situé à quelques centimètres de la ligne des épineuses, dont la pression exacerbe les douleurs habituelles. L'échotomographie décèle, en regard de ce secteur, une plage hypo échogène (Fig. 12) dont l'anesthésie soulage temporairement le patient.


 

 

L'absence d'anomalie échographique

peut être constatée, malgré le respect des critères de sélection clinique ; en effet, chez près de 20 % des sujets examinés (4), l'examen échographique se révèle strictement normal, ce qui incite à envisager une limite technique de l'examen : des lésions très limitées ou débutantes peuvent ne pas avoir de traduction échotomographique, de même, les secteurs musculaires profonds échappent à l'analyse.


 

Signification des territoires hypo échogènes

L'interprétation de l'hypoéchogénécité apparaît délicate : une contracture musculaire présente une dis­position plus fasciculaire que focale ; une solution de continuité des fibres musculaires, une collection liquidienne (pour les images aux contours les plus précis), une adipose à faible composante conjonctive peuvent être évoquées.

C'est pourquoi, nous avons effectué, chez cinq sujets volontaires, une étude histo-morphométrique des sites musculaires individualisés par l'échotomographie, selon un protocole standard : réactions histo­enzymatiques sur matériel congelé, détection en immuno-fluorescence d'éventuels dépôts d'immuno­globulines, analyse morphométrique, examen en microscopie photonique et électronique du matériel inclus dans l'épon.

 

- Des dépôts adipeux sont rencontrés en situation périmysiale, endomysiale ou sous forme de globu­les lipidiques intra‑sarcolémiques.

 

- L'atteinte de type myogène est constante : hypo­trophie des fibres musculaires, vacuoles autopha­giques isolées, désorganisation de la bande Z, anomalies mitochondriales... Il s'y associe, dans 4 cas, des lésions de type neurogène périphérique, suggérant une souf­france des branches nerveuses postérieures. Fassbender et Wegner6 constataient, en 1973 des anomalies de type myogène chez des patients souffrant de douleurs musculaires persistantes. Nos résultats se rapprochent des leurs, quant a l'origine myogène des lésions. Les auteurs évoquent une hypoxie des cellules musculaires, cons­tatant ultérieurement des altérations des capillaires endomysiaux5, que nous n'avons pas observées.

 

Les dépôts adipeux au sein des fibres musculaires ont été décrits par plusieurs auteurs3,11, interprétés comme une dégénérescence graisseu­se. Awad2 fait état, en 1973, de la présence d'adipose dans quelques biopsies réalisées au sein des muscles quadriceps et trapèzes. L'intensité des dépôts adipeux dans les muscles hypoéchogènes est variable mais elle autorise l'établissement d'une relation entre l'hypodensité échotomographique et la présence d'adipose endomysiale.

 

S'agit-il d'une pathologie précédemment individualisée ?

Travell et Simons14,16, sous le terme de myofiascial trigger point, regroupent les notions anciennes de myofascitis1,7,15, myalgic spot9, interstitial myofibrositis2, rheumatic myalgia8, myogélose13, fibrositis10, muskel-schwiele12. Cette pathologie comporte plusieurs critères cliniques dont les principaux sont :

 

• une tension musculaire très localisée, palpable pouvant réaliser des formations nodulaires très perceptibles ;

• l'existence de douleurs référées, parfois très à distance ;

• des phénomènes vaso-moteurs, apparaissant plus accessoires ;

Ces critères ne s'appliquent que partiellement aux patients porteurs de plages hypoéchogènes, la palpation ne relevant pas, de façon régulière, d'induration localisée.


 

 

Conclusion

 

L'échotomographie permet d'objectiver, chez certains sujets souffrant de lombalgies ou de dorsalgies, des altérations musculaires paravertébrales, se traduisant par des territoires hyper ou hypoé­chogènes, constituant le site essentiel des phénomènes douloureux,

Les territoires hyperéchogènes sont en faveur de granulomes cicatriciels, les plages hypoéchogènes traduisant, chez certains sujets, une adipose périmysiale et endomysiale, associée à des signes d'atrophie de type myogène, Soulignons que des anomalies très proches des précédentes peuvent également être observées à l'étage cervical. Il apparaît ainsi que la démarche clinique peut intégrer les signes évocateurs d'une souffrance des chaînes musculaires péri-rachidiennes, que confirmera, fréquemment, la réalisation de l'examen échotomographique.


 

 

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